Au-delà de l’obligation de
réserve, le devoir de parler / appel à ceux qui font vivre l’Education
Nationale
Il y a quelque
temps, Roland Braun nous invitait à
entrer en résistance. Son appel a eu un large écho et la résistance aux
attaques contre l’école publique s’étend. Elle se développera davantage si nous
dépassons la peur diffuse et irrationnelle de la hiérarchie. Celle-ci a d’abord
le pouvoir que nous lui donnons. Nous sommes, encore, en démocratie et la
notion d’obligation de réserve ne doit pas devenir l’obligation de se taire
devant l’inacceptable. On a vu dans le passé, lors de la collaboration avec le
gouvernement de Vichy, jusqu’où peut mener l’obéissance aveugle du
fonctionnaire.
Nous n’en sommes pas
là aujourd’hui même si ce qui se passe avec la manière de traiter les
« sans papiers » peut y faire penser.
Face à toutes les menaces qui pèsent sur l’école publique, nous avons le devoir de parler ouvertement
malgré d’éventuels rappels à l’ordre de notre hiérarchie.
Nous parlons beaucoup
dans les coulisses de l’école, en salle des maîtres, pendant les manifs... Il reste à prendre la parole dans le cadre
de notre fonction : conseils d’école, conseils de maître, rencontres
de parents d’élèves, réunions de directeurs, réunions avec les élus locaux, réunions
avec la hiérarchie…
Des collègues
convaincus de la pertinence de la résistance, participent à des manifestations,
se joignent aux actions des parents d’élèves, mais craignant des représailles,
choisissent de rester muets dans le cadre institutionnel (lors des conseils
d’école par exemple).
Que
risquons-nous ? Roland Braun et d’autres encore, ont été convoqués chez
leur inspectrice ou inspecteur d’académie. Ils sont sortis indemnes de ces
entrevues !
Etre invité chez
l’IA, que demander de plus, les syndicats ne demandent-ils pas régulièrement à
être reçus par lui. ! C’est l’occasion de parler, de redire nos désaccords et de demander à ce que nos
questions soient transmises au ministre.
Arrêtons de prendre
nos supérieurs hiérarchiques pour des « chefs » ou des
« patrons », ce sont avant tout des responsables du service public.
D’ailleurs, beaucoup d’entre eux ont un grand sens de ce service. J’ai pu
souvent le constater en trente cinq ans de carrière, en particulier lorsque
j’étais conseiller pédagogique auprès de l’un d’eux.
Leur autorité vient
de ce sens du service. L’autorité sert le bien public.
L’autoritarisme, lui,
est détestable et nuisible, il se nourrit de la peur de ceux qui investissent
leur « supérieur » d’un pouvoir qu’il n’a pas.
C’est au sein même de
notre fonction, que notre parole peut avoir le plus d’impact sur les parents,
les élus et… les supérieurs hiérarchiques avec qui, il nous arrive d’avoir des
réunions. Cette parole aura d’autant plus de poids si elle émane de personnes
bien intégrées dans leur fonction et dignes de foi. Si le témoignage de Roland
Braun a eu autant d’impact, c’est parce qu’il est connu pour être très investi
dans les fonctions qu’il occupe. Ces prises de parole individuelles portent
beaucoup plus que des déclarations impersonnelles faites par des syndicats ou
des collectifs (ce qui ne doit pas nous empêcher de rejoindre le collectif.sept.68@gmail.com
/ Sauver l’Ecole Pour Tous, ou les
syndicats, ne serait-ce que pour activer la solidarité nécessaire à la lutte).
J’imagine sans peine,
la portée de prises de parole personnelles de la part d’inspecteurs de
l'éducation nationale reprenant, par exemple, ce qui est exprimé de manière
très pertinente dans un courrier de leur syndicat adressé, au titre du devoir
de loyauté, au ministre et aux parlementaires (voir lettre du 3.12.08
sur le site : syndicat.snpi-fsu.org).
Je comprends mal,
comment certains d’entre eux qui sont si attachés à l’école publique, à
« l’école du peuple », parviennent encore à se taire devant ce qui se
passe actuellement.
Pour nous tous,
fonctionnaires au service des usagers de l’Education Nationale, notamment des
plus défavorisés, n’avons-nous pas d’abord le devoir d’être loyaux envers ces
usagers ?
Devoir de loyauté, devoir de parler… en vérité et dans le respect et l’écoute des personnes
Une parole vraie est une parole qui se laisse
interpeller par ce qui est vrai dans la parole de l’autre. Plus concrètement,
quand le ministre dit que l’éducation nationale a besoin de réformes, il n’a
pas tort, quand il relève les limites de l’action des RASED, non plus… de là à
les supprimer, il y cependant un pas à ne pas faire.
Il ne s’agit pas
seulement de dénoncer, mais aussi de reconnaître les faiblesses du système
actuel et de participer activement à une évolution positive d’une école au
service de tous.
Dénoncer ce
qui va mal, ce n’est pas diaboliser ceux qui font mal.
S’attaquer aux personnes, les ridiculiser (comme on peut le voir dans certains
mails qui servent essentiellement de défouloir) déplace l’attention par rapport
à ce qui pose vraiment problème. Se moquer de l’autre peut certes être
plaisant, mais la caricature peut fausser la communication en blessant
l’adversaire au lieu de l’interpeller. Comment se faire entendre dans ce
cas ?
Parler ne sert à rien
si en face il n’y a pas d’écoute. La
langue de vipère ne vaut pas mieux que la langue de bois.
Prendre la parole à
un conseil d’école ou à une réunion avec des responsables hiérarchiques, c’est
parfois juste un grain de sable… mais quelques grains de sable peuvent bloquer
la machine la plus solide !
La parole ne suffira
sans doute pas à enrayer les dérives ministérielles.
La stratégie de la
non-violence (voir site du MAN et ses liens : http://nonviolence.fr)
donne des pistes pour aller plus loin. La désobéissance civile en est une. Je
l’avais proposée au congrès de mon syndicat au printemps dernier, mais cette
piste a été refusée…
De toute façon, il va
falloir s’habituer à résister dans bien des domaines, alors autant commencer
tout de suite au sein de notre institution.
Mon appel au devoir
de parler est d’abord né de la situation de crise actuelle. Cet appel se
nourrit également de ce que j’ai vécu depuis 1972, l’année où je suis entré à
l’Ecole Normale d’Instituteurs. J’ai pu constater combien les structures de l’Education Nationale étaient souvent
saturées d’inertie par des silences soumis, craintifs, gênés, polis,
indifférents, résignés, complices…
Inversement, il
suffit parfois d’une personne qui fait le premier pas en posant une parole
forte et vraie au bon moment pour faire démarrer la résistance ou un mouvement
de solidarité (il y a eu des « appels » célèbres dans l’histoire de
notre pays, du « J’accuse » de Zola au moment de l’affaire Dreyfus, à
l’appel de l’abbé Pierre pendant l’hiver 54, en passant par l’appel du 18 juin du général De Gaulle
et la dénonciation de la torture par le général De La Bollardière pendant la guerre d’Algérie, ces deux généraux n’ont heureusement pas
respecté l’obligation de réserve.
Il y a eu l’appel de Roland
Braun et d’autres encore).
Si chacun, à sa
place, prend le temps de la réflexion et le courage de parler, la résistance
peut devenir créatrice. Il ne s’agit pas seulement de sauver l’école pour tous, de lui permettre de survivre, il faut aussi lui donner les moyens de vivre pleinement, lieu d’apprentissage et
d’éducation pour tous les élèves accueillis, en particulier les plus
fragiles.
Nous sommes encore en
démocratie, si nous n’utilisons pas notre liberté de parole aujourd’hui, nous
risquons de la perdre demain, dans un lent glissement vers un régime politique
plus dur, imposant le silence aux citoyens.
Je ne prétends donner
de leçons à personne. J’interviens en complémentarité et en solidarité avec
tous ceux qui entrent en résistance un peu partout. Je me permets de lancer cet
appel à parler parce que j’ai essayé
de faire ce que j’y préconise, prenant la parole chaque fois que ma conscience
me disait de le faire, y compris face à la hiérarchie, et ceci dans différents
contextes. J’ai du faire face à un procès pour désobéissance civile. J’ai
appris, à cette occasion, que, dans la dynamique de la lutte non-violente, un
procès est une magnifique occasion de démultiplier l’information sur la lutte
menée.
Pour une bonne année 2009, entrons en résistance créatrice !
Philippe Nussbaum, enseignant spécialisé chargé des aides rééducatives
/ RASED de Wittelsheim, « grand parent » d’élèves,
ancien militant de la lutte non-violente… rappelé dans la lutte
active !
Si cet appel vous parle,
diffusez-le autour de vous