La lecture en réseau : un comportement culturel

 

Edith WEBER

 

L'école a pour rôle d'aider les élèves à "entrer en lecture" et à se construire une culture littéraire. Ces deux objectifs peuvent trouver leur réalisation dans la mise en réseau des livres proposés par l'enseignant.

 

Établir des liens

Toute œuvre s'inscrit dans une histoire. Les albums, forme littéraire relativement récente, ne dérogent pas à cette règle. Leur spécificité, la mise en scène conjointe du texte et de l'image, renvoie à deux histoires simultanément, celle du texte littéraire et celle des arts graphiques.

Le lecteur aussi, si jeune soit-il, a son histoire. Il emmagasine des images, des souvenirs de lectures qui ont marqué son imaginaire et qui lui servent, le plus souvent sans qu'il s'en rende compte, de points d'ancrage et de référents pour ses nouvelles lectures.

La lecture en réseau, organisée par l'enseignant, permet aux élèves de prendre conscience de ces histoires, c'est-à-dire des relations que les livres entretiennent entre eux, et que les lecteurs peuvent établir entre ces livres qui se répondent et en appellent d'autres. La mise en évidence de ces liens favorise l'émergence de l'histoire des lectures de chacun et alimente les parcours singuliers des lecteurs.

 

Organiser la mise en réseaux

Les entrées que l'on choisira pour mettre en relation des ouvrages doivent pouvoir aider les élèves dans leur compréhension des œuvres et dans leur mise en perspective littéraire.

·        Sur le plan littéraire

Toutes les instances du récit de fiction (personnages, lieux, temps ..), les notions de forme littéraire, de genre, de tonalité, d'univers d'un auteur, peuvent être questionnées grâce à des parcours organisés de lectures.

À partir de quelques livres choisis en conséquence, les élèves cerneront par exemple l'archétype du loup; ils découvriront qu'un même type de personnage peut endosser des rôles différents et que son statut dans les histoires (méchant/ bon, naïf/rusé ...) a une incidence sur les dynamiques ou les tonalités des récits; ils s'interrogeront sur la raison d'être d'animaux anthropomorphes dans les albums et en confronteront les sens induits.

Si au cycle 2, on établit des liens entre des récits qui se passent dans un même type de lieu et ce que ce lieu peut avoir comme influence sur les relations entre les personnages, au cycle 3, en partant par exemple de L'île du Monstril [1], on évoquera la symbolique liée à un type de lieu, l'île, et on établira la relation avec des robinsonnades classiques.

La mise en relation de John Chatterton détective [2], de La reine des fourmis a disparu [3] et de Touchez pas au roquefort ! [4], conduira à une approche de la notion de genre, policier en l'occurrence, ou fera découvrir les liens explicites avec d'autres œuvres (intertextualité) et le sens qui est ainsi programmé par l'auteur.

·        Sur le plan visuel

Les techniques d'illustration et leurs utilisations spécifiques qui font le style des illustrateurs, font également sens et participent par exemple à la mise en place de la tonalité du récit. Comparer des représentations de forêts conduit à constater qu'un même lieu peut se charger d'un sens différent. Certains illustrateurs citent explicitement des peintres tels que Magritte et Van Gogh : les mettre en relation, c'est s'interroger sur la fonction de ces citations dans l'album, ou dans la mise en place de leur univers.

·        Sur le plan des valeurs

La mise en réseau des œuvres suscite également des débats d'interprétation. Ainsi la lecture de L'île aux lapins [5] conduira-t-elle avec la lecture de Remue-ménage chez Madame K [6] et d'autres encore à un débat sur les conceptions de la liberté.

 

Développer un comportement culturel

La mise en réseau est un travail de confrontation et de comparaison, d'élucidation des convergences et des divergences, des incidences qu'elles peuvent avoir sur la réception de l'œuvre par le lecteur. Elle aide à comprendre, à interpréter, à trouver des liens de sens entre les livres, à les inscrire dans une histoire littéraire ou graphique. Elle conduit le jeune lecteur à donner du liant à ses lectures personnelles en établissant peu à peu lui-même les connexions d'un album à l'autre. Elle est le fondement d'une lecture distanciée d'appréciation, donc d'un comportement culturel autonome.

 

                                                                                                      Edith WEBER

 

Article paru dans JDI n°2 , octobre 2003.

 

Un exemple de mise en réseaux à partir d’albums de Philippe CORENTIN.



[1] Pommaux Yvan, L'école des loisirs

[2] Pommaux Yvan, L'école des loisirs

[3] Bernard Frédéric, Albin Michel Jeunesse

[4] Stone Bernard, Gallimard Jeunesse

[5] Steiner Jörg, Mijade

[6] Erlbruch Wolf, Milan