Université des Sciences Humaines de Strasbourg

 

 

LA CONDITION FÉMININE

DANS LES DERNIERS ROMANS DE GEORGE SAND

de Monsieur Sylvestre (1865) à Albine (1876)

 

 

THÈSE DE DOCTORAT

LITTÉRATURE FRANÇAISE

 

présentée par Annie CAMENISCH

sous la direction de M. Jean-Pierre LACASSAGNE

 

1997

 

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SOMMAIRE DE LA PAGE

INTRODUCTION

SOMMAIRE

Petit memento des derniers romans

conclusion

Publication

CLIQUEZ SUR LES LIENS

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INTRODUCTION

L’indépendance affichée par George Sand, notamment dans sa vie amoureuse, a contribué à propager le cliché d’une femme émancipée, souvent confondu avec celui d’une militante féministe. Il est vrai que la romancière a conquis sa liberté de haute lutte et s’est affranchie du mariage à la suite d’un procès célèbre contre son mari. Séparée de Casimir Dudevant, elle est rentrée en possession de son bien et a obtenu la garde de ses enfants. Toute sa vie, elle a travaillé énergiquement pour assurer son autonomie et entretenir sa famille. Durant le printemps de 1848, elle s’est engagée avec passion dans l’action politique par des articles de presse, des pièces de théâtres, des romans.

Si sa vie témoigne d’une volonté farouche de quitter la condition réservée à ses paires au XIXe siècle, George Sand a-t-elle pour autant fait œuvre féministe, c’est-à-dire participé à un « mouvement qui préconise l’extension des droits, du rôle de la femme dans la société »[1] ? A travers les portraits multipliés de la mal mariée, ses premiers romans donnent corps à sa révolte contre l’institution du mariage. Certains critiques littéraires, comme M. Nisard[2], y ont décelé une apologie de l’amour libre, idée reprise par René Doumic qui considère Indiana, Valentine et Jacques comme des « romans de vulgarisation de la théorie féministe »[3].

Plus récemment, on a relevé un décalage entre cette opinion communément répandue et le véritable engagement de l’écrivain pour la cause féminine. Des critiques américaines « portées par le mouvement féministe, ainsi que par la théorie féministe renouvelée par le néo-féminisme français »[4], ont sévèrement jugé George Sand. Leslie Rabine, par exemple, qui appuie son étude sur Indiana, « reproche à Sand de fonder son statut exceptionnel de femme écrivain sur l’infériorité des autres femmes »[5]. En France, Michèle Hecquet souligne plutôt la réticence de George Sand « devant le féminisme des saint-simoniennes »[6]. En 1837, la romancière exprime, dans les Lettres à Marcie[7], ses idées sur la place des femmes dans la société. Tout en reconnaissant des capacités indéniables aux femmes, le destinateur refrène les aspirations de sa correspondante à jouer un rôle actif dans la société : « [...] préservez-vous de ces ambitions folles. Les femmes ne sont pas propres aux emplois que jusqu’ici les lois leur ont déniés. Ce qui ne prouve nullement l’infériorité de leur intelligence, mais la différence de leur éducation et de leur caractère : ce premier empêchement pourra cesser avec le temps ; le second sera, je pense, éternel »[8]. Michèle Hecquet interprète ce « refus opposé par Sand aux féministes » comme « l’agressivité de l’individu envers son double, l’image où il ne veut pas se reconnaître »[9].

Mais c’est surtout à partir de 1848 que le soupçon d’antiféminisme[10] pèse de plus en plus sur la romancière. Son absence de solidarité envers les militantes de cette époque témoigne d’une réticence ostensible à leur endroit. Lorsque le 6 avril 1848 La Voix des femmes propose la candidature de George Sand à la députation, celle-ci se démarque publiquement des « principes dont ce journal voudrait se faire l’organe »[11]. Dans une longue lettre inachevée qu’elle comptait adresser aux membres du Comité central[12], elle revient sur la question féminine, commence par s’opposer à toute intervention politique immédiate des femmes mais réclame aussi les droits civils pour son sexe. La lettre restera finalement dans son buvard et aucune publication ne reprendra la même idée.

Dans Histoire de ma vie, écrit entre 1847 et 1855, George Sand déclare ne pas douter « que la femme soit différente de l’homme, que le cœur et l’esprit aient un sexe »[13], quels que soient les progrès de l’éducation. Pour Claudine Chonez qui lui reproche aussi de refuser aux femmes « le droit au plaisir », la romancière toucherait « ici à l’antiféminisme pur et simple »[14]. Elle ajoute : « Quant à son opinion sur l’intelligence des femmes et leur aptitude à l’action, c’est bien plus grave. Sand, qui semble oublier ses propres dons, est ici plutôt réactionnaire »[15]. Même lorsque la romancière déclare, dans une lettre à Flaubert en 1867, qu’il « n’y a qu’un sexe »[16] et observe que, dans son enfance, son fils était « femme bien plus que [sa] fille qui était un homme pas réussi »[17], Naomi Schor y voit l’expression d’un sexisme flagrant. Il s’agirait là d’une réaffirmation de la supériorité de l’homme à la fois masculin et féminin au détriment de la femme privée de tout attribut[18]. En convenant de l’unicité des sexes, elle nierait leur égalité.

Michèle Hecquet corrige « l’image de Sand antiféministe »[19] en montrant que la réticence de la romancière s’adresse davantage à la politique qu’aux femmes qui revendiquent leur participation. Cependant, dès 1848, ses oeuvres afficheraient une sévérité nouvelle à l’égard de l’émancipation féminine « qu’il s’agisse de liberté amoureuse ou de développement des talents »[20]. Michèle Hecquet relève notamment l’évolution de la pensée sandienne de Jacques (1834) au Dernier Amour (1867) : « Là, le héros s’efface pour que sa jeune femme puisse connaître le bonheur ; ici, la jeune femme est jugée responsable de tous les désordres »[21].

Pourtant, comme le constate Nicole Mozet, « le témoignage de George Sand sur la condition des femmes de son temps est complexe »[22] et mérite un examen plus approfondi. Par ses observations, ses condamnations, ses convictions, ses voeux, dissimulés au cœur de ses fictions, la romancière donne un aperçu de la situation des femmes au XIXe siècle. Son œuvre restitue une vérité parfois involontairement transmise par l’écrivain. Une analyse minutieuse de la condition féminine telle qu’elle est représentée dans ses livres peut seule clarifier l’image brouillée du féminisme de George Sand. Pour éviter de s’embourber dans des définitions parfois contradictoires de cette notion, il convient de se limiter à une perspective historique car, comme le constate Dennis O’Brien, « sélectionner certains principes du féminisme auxquels souscrivent de nos jours certaines féministes et dire que celles qui n’y adhèrent pas sont hostile à la cause est ahistorique »[23]. Il n’est donc guère utile ici de se référer aux théories féministes contemporaines pour tenter une approche du féminisme sandien.

Les romans offrent le champ d’étude le plus propice parce qu’ils constituent le moyen d’expression privilégié de l’écrivain. Comme ils ne sont pas soumis aux impératifs de la scène, ils lui permettent aussi une relative liberté. Il ne faut cependant pas négliger la part d’autocensure que la romancière s’est imposée, notamment dans les romans d’Empire. Cette étude ne poursuit pas l’ambition d’offrir un panorama complet de la condition féminine dans l’œuvre entière. Son étendue risquerait de noyer le propos ou de le réduire à des généralisations trop allusives. Par ailleurs la popularité écrasante de certains romans pourrait étouffer les récits moins célèbres. Un corpus limité à quelques fictions romanesques situées à une période clé de la production sandienne permettra d’analyser en détail la perception sandienne de la condition féminine. Le corpus a donc été limité aux derniers romans de George Sand. Avant de justifier ce choix, il convient d’éliminer certaines idées reçues qui ont longtemps circulé à leur propos.

La légende de la « bonne dame de Nohant » qui a installé l’écrivain dans une bourgeoisie bienfaisante mais conventionnelle n’est pas étrangère à la mauvaise réputation de son œuvre ultime, déconsidérée par plusieurs biographes. Déjà Wladimir Karenine ne décelait aucune originalité dans ses derniers romans : « Ils se rattachent les uns aux autres par une idée commune, et traitent le même thème général »[24]. Selon Pierre Salomon, avec la vieillesse, l’art de George Sand « s’est sclérosé. Elle écrit ses romans de façon presque machinale, s’abandonnant à ce qu’elle croit l’inspiration et qui est seulement l’habitude »[25]. Pour lui, « la romancière audacieuse qui avait écrit Indiana et Lélia, la femme généreuse qui aurait voulu être Consuelo, qui avait employé toutes les ressources de son talent à lutter pour le bonheur et la réconciliation des hommes, qui avait su découvrir et traduire avec émotion la poésie des existences les plus humbles [...] était morte depuis longtemps »[26]. André Maurois renchérit et estime qu’elle n’écrit que par besoin d’argent, pour « remplir le contrat Buloz »[27].

La critique récente, Nicole Mozet en tête, s’est chargée de dissiper cette image d’une vieille dame un peu gâteuse qui ressasserait les mêmes idylles bourgeoises ou aristocratiques : « En 1871, à 67 ans, l’écrivain est en pleine possession d’elle-même et de ses moyens »[28]. En effet, l’intérêt de George Sand pour la vie littéraire ne diminue pas. Elle publie régulièrement des romans bien sûr, mais pratique aussi d’autres genres. Elle écrit une douzaine de contes recueillis dans Les Contes d’une grand-mère[29]. Régulièrement elle s’exprime dans des articles, parfois dans la rubrique nécrologique au moment de la mort d’amis comme Louis Maillard ou Ferdinand Pajot, mais le plus souvent dans des critiques littéraires sur des parutions comme L’Histoire de Jules César de Napoléon III ou pour défendre L’Education sentimentale de son ami Flaubert. Le Temps lui ouvre ses colonnes pour des feuilletons sur des sujets d’actualité. Certains sont adressés à des amis, à Charles Edmond ou à Rollinat, d’autres constituent des lettres ouvertes, comme « Réponse à un ami » destinée à Flaubert et qui réaffirme sa conviction après les événements de la Commune. D’autres encore évoquent des idées chères comme « La Révolution pour l’idéal » ou «  Les Idées d’un maître d’école ». Parfois, George Sand se passionne pour un débat comme dans « L’homme et la femme »[30].

Enfin, la romancière est aussi une dramaturge qui fait porter ses pièces à la scène. Les Don Juan de village et Le Lis du Japon sont joués au Vaudeville en septembre 1866, Cadio, tiré du roman du même nom, est représenté au théâtre de la Porte-Saint-Martin en octobre 1868, L’Autre est monté à l’Odéon en février 1870, Un Bienfait n’est jamais perdu apparaît au répertoire du théâtre de Cluny en novembre 1872. George Sand travaille aussi à des projets inaboutis comme Mont-Revêche et Salcède, d’après le roman Flamarande et elle s’inspire d’une pièce de Tirso de Molina pour composer le drame Lupo Liverani publié en 1869. Elle écrit fréquemment à des hommes de théâtre comme Paul Meurice et Dumas fils qui collaborent à quelques projets.

Sa correspondance avec Flaubert, qui devient régulière à partir de 1866, aiguise son jugement et lui fait reformuler ses convictions littéraires : « [...] l’art doit être la recherche de la vérité, et la vérité n’est pas la peinture du mal. Elle doit être la peinture du bien et du mal »[31]. Derrière cet écrivain reconnu, rendu respectable par son âge, se profile une femme lucide, pénétrée de quelques convictions, mais qui soulève aussi nombre de questions : « Je n’ai pas de théorie toute prête et si je l’avais, je m’en méfierais un peu », écrit-elle en conclusion de « L’homme et la femme »[32].

Dans les derniers romans se dévoilent les ultimes réflexions de George Sand sur la condition féminine, portée au premier plan comme dans Mademoiselle Merquem, ou subordonnée à un autre thème comme dans Cadio. L’année 1865 semble la plus opportune à ouvrir la dernière période créatrice de la romancière.

Le 21 août 1865, George Sand perd le dernier compagnon de sa vie, Alexandre Manceau, emporté par la tuberculose à l’âge de 48 ans. D’abord saisie d’appréhension à l’idée d’entrer « dans les mers inconnues de l’isolement »[33], elle devient bientôt « enragée de locomotion »[34] et jouit d’une liberté nouvelle. Accompagnée par des amis ou sa famille, elle entreprend des voyages qui servent de cadres à ses romans. Du 8 au 12 septembre 1866, elle fait des repérages pour Cadio au sud de la Bretagne (Nantes, Guérande, Auray, Carnac...) mais se déclare fort déçue par le pays et les habitants. Les 17 et 18 septembre 1867, elle séjourne à Jumièges dont elle s’inspirera pour quelques passages de Pierre qui roule, puis du 24 au 30 septembre, elle visite les côtes normandes de Fécamp, Etretat, Dieppe, Yport... où elle situera le décor de Mademoiselle Merquem. A la recherche de renseignements pour son futur roman Malgrétout, elle épuise son ami Plauchut à courir à deux reprises dans les Ardennes autour de Givet, du 17 au 22 septembre puis du 28 septembre au 1e octobre 1869. Du 5 au 25 août 1873, elle fait un périple en Auvergne de Clermont-Ferrand au Mont-Dore. Elle utilisera ses impressions dans Ma Sœur Jeanne et dans Flamarande.

A côté de ces séjours prolongés, elle entreprend aussi de brèves visites à quelques amis comme Dumas fils, Flaubert ou Juliette Adam. Elle fait également de fréquentes excursions à Paris où elle a conservé un domicile permanent, notamment pour les répétitions de ses pièces de théâtre. A partir du 12 février 1866[35], George Sand accepte de se rendre aux dîners Magny où se retrouvent, tous les deux lundis, quelques célébrités de l’époque[36]. Elle y dîne en compagnie de Flaubert, Théophile Gautier, Saint-Victor, les frères Goncourt, le chimiste Berthelot... Elle y retourne régulièrement et y rencontre aussi Taine et Renan.

Parallèlement, l’écrivain se montre particulièrement sensible à la situation politique de son époque parfois perceptible à travers ses romans. La période choisie est marquée par les événements provoqués par la guerre franco-prussienne : la chute du Second Empire, la IIIe République, la Commune. Ce moment charnière de l’histoire produit une rupture au cœur du corpus qui ne peut manquer de refléter ce bouleversement. Alors que la condition féminine semble immuablement fixée dans les textes de lois sous Napoléon III, le changement de régime laisse espérer une évolution dans un avenir assez proche.

A partir de 1865, la vie de George Sand s’anime donc d’un nouveau souffle. Elle quitte progressivement sa maison de Palaiseau où elle s’était établie avec Manceau pour se réinstaller à Nohant avec son fils Maurice et sa bru Lina. Elle baigne dans une ambiance familiale puisque naissent deux petites filles, Aurore en 1866 et Gabrielle en 1868, auprès de qui elle assume le rôle de « maître d’école ». Elle espace d’ailleurs de plus en plus ses séjours parisiens pour retrouver l’animation de Nohant où elle tente de retenir quelques intimes. Pourtant, le fait d’être seule, sans compagnon, pour toujours, et de ne plus être « nubile »[37] lui confère, selon Michelle Perrot, un statut ambigu où elle n’est plus vraiment une femme. Pour Flaubert, elle appartient même à un « Troisième Sexe »[38] qui ne vit plus sa situation de femme d’une manière aussi aiguë que dans sa maturité. George Sand n’est pas loin de la neutralité qui lui permet de porter un regard plus détaché, moins passionné, sur la condition féminine.

L’examen de la correspondance et de l’agenda de l’écrivain permet d’établir de manière assez précise la genèse des romans. Les dates de rédaction et de publication se révèlent primordiales pour situer les oeuvres les unes par rapport aux autres mais aussi relativement aux événements contemporains. Pour cette raison, la date évoquée sera toujours celle de la première publication en feuilletons. Sans se refuser une incursion dans quelques récits antérieurs, dans l’œuvre autobiographique ou dans la correspondance, cette étude s’appuie essentiellement sur l’analyse de ces romans souvent occultés de la production sandienne.

Le corpus se compose de quatorze romans[39] de facture variée autant par la forme que par les thèmes abordés. Monsieur Sylvestre (1865), composé de lettres, est un ouvrage philosophique qui s’interroge sur la question du bonheur. La perspective historique apporte un éclairage décisif sur Cadio (1867), Francia (1872) et Nanon (1872). Les guerres de Vendée constituent le cœur du roman dialogué Cadio alors que Nanon offre un point de vue plus subjectif sur la Révolution. Francia se situe au moment de la première Restauration mais restitue l’époque tourmentée de 1871. Pierre qui roule et sa suite Le Beau Laurence (1869) décrivent le monde des comédiens à travers leurs pérégrinations en France et en Europe. Le roman inachevé Albine (1876) s’attache à la peinture d’une danseuse. Le Dernier Amour (1866) décrit l’enfer de l’adultère tandis que Flamarande et les Deux Frères (1875) en dénoncent les conséquences inattendues. Mademoiselle Merquem (1868) est unanimement considéré comme un roman du mariage alors que Malgrétout (1870), Césarine Dietrich (1870), Ma Sœur Jeanne (1874) et Marianne (1875), aux thèmes plus flous, construisent leur intrigue autour de l’amour.

Cette analyse ne prétend nullement traiter la question féminine au XIXe siècle vue par les féministes ou par leurs détracteurs, mais compte s’en servir pour éclairer la représentation des figures romanesques. Ces dernières ne seront examinées qu’à travers le prisme de la condition féminine. Les femmes sandiennes constituent évidemment le fil conducteur de la recherche. Leurs portraits s’ébauchent lors de leur première apparition dans les romans et grâce à la perception des narrateurs éventuels. Ils permettent d’établir une typologie des principaux personnages féminins souvent pris dans des réseaux de liens complexes qui leur confèrent une place particulière dans l’économie des romans.

La condition féminine se détermine cependant surtout par les actions des femmes. Leurs occupations révèlent toute leur existence, riche ou limitée, et les situent dans la hiérarchie sociale à travers l’éducation qu’elles reçoivent et à travers leur rôle économique. Leur vie quotidienne permet de définir leurs aspirations essentielles ou le destin qui s’offre à elle. Amour, mariage et vertu se conjuguent pour déterminer leur avenir. Ces différents aspects dégagent la vision sandienne de la condition féminine au crépuscule de sa vie.

 

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SOMMAIRE

Première partie : PORTRAITS DE FEMMES

UNE FEMME BIEN VUE

I. Les titres des romans

II. Le choix des noms des personnages féminins

III. La perception des personnages féminins

CARACTÈRES DE FEMME

I. La femme idéale

II. La femme coquette

III. Les femmes « mineures »

RÉSEAUX DE PERSONNAGES

I. Contrastes

II. Correspondances

III. Couples

DEUXIèME PARTIE : OCCUPATIONS DE FEMMES

L’ÉDUCATION DES FEMMES

I. L’école des femmes

II. Les femmes savantes

LA VIE ECONOMIQUE ET SOCIALE DES FEMMES

I. Les femmes du peuple

II. Les employées

III. Les marginales

IV. Les femmes oisives

LA VIE QUOTIDIENNE DES FEMMES

I. La vie mondaine

II. La vie domestique

TROISIèME PARTIE : DESTINS DE FEMMES

L’AMOUR

I. Les chemins de l’amour

II. Les définitions de l’amour

LE MARIAGE

I. Les palliatifs au mariage

II. Le mariage : miroir de la réalité du XIXe siècle 

III. Le mariage idéal selon George Sand

IV. Le but du mariage

LA VERTU

I. La réputation

II. La faute

III. L’adultère

IV. La discrimination sexuelle

LE FÉMINISME DE GEORGE SAND

BIBLIOGRAPHIE

I. OEUVRES DE GEORGE SAND

II. OUVRAGES ET ARTICLES UTILISÉS

ANNEXES

PETIT MEMENTO DES DERNIERS ROMANS

INDEX

 

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PETIT MEMENTO DES DERNIERS ROMANS

Albine (inachevé)

Le veuf Flaminien d’Autremont, aigri par un mariage mal assorti, refuse de s’engager dans une autre union. Il entreprend de moderniser son château et embauche le jeune architecte Juste Odoard. Ce dernier rencontre la danseuse Albine Fiori qui lui raconte ses débuts sur la scène et son chaste amour pour Flaminien. Le roman est interrompu au moment où des liens d’amitiés se tissent entre Flaminien et Juste.

Cadio (1867)

Le comte de Sauvières est enrôlé contre son gré dans les rangs de la chouannerie que commande le marquis de Saint-Gueltas, guerrier sans scrupules et grand séducteur. Ce Don Juan a jeté son dévolu sur Louise, la fille du comte. Le neveu de ce dernier, Henri, a préféré se joindre à l’armée des Républicains. Cadio, un champi naïf et inculte, se laisse d’abord manipuler par les royalistes, par amour pour Louise. Mais lorsqu’elle dédaigne sa générosité et suit Saint-Gueltas, Cadio s’engage parmi les Bleus et monte rapidement en grade. Il devient un soldat fanatique prompt à exterminer les Chouans. Il se lie d’amitié avec Henri et Marie Hoche, cousine du célèbre général et amie de Louise. Cette dernière est devenue la maîtresse de Saint-Gueltas qui l’épouse par intérêt mais devient bigame puisque sa première femme n’est pas morte. Trompée et malheureuse, Louise le quitte et défend, dès lors, la cause des Républicains. Le roman s’achève après la victoire des Bleus à Quiberon où Saint-Gueltas meurt héroïquement. Henri peut enfin épouser Marie et Louise donne bon espoir à Cadio.

Césarine Dietrich (1870)

Fille d’un riche bourgeois, la capricieuse et autoritaire Césarine veut tout plier à sa volonté. Elle s’éprend de Paul Gilbert, le neveu de sa gouvernante, le seul homme qui lui résiste. Mais celui-ci lui échappe et épouse sa maîtresse Marguerite au moment où Césarine voulait le mettre en confiance en se mariant avec un moribond. Elle ne se laisse décourager par aucun contretemps et se lance dans de savantes manoeuvres pour soumettre le rebelle. Elle finit par conquérir son amitié qu’elle prend pour un véritable amour platonique. Cependant, lorsqu’il la somme de soigner son mari, elle lui propose une nuit d’amour. Il refuse, indigné, et se consacre entièrement à sa famille.

Le Dernier Amour (1866)

Sylvestre, le même personnage déjà mis en scène dans Monsieur Sylvestre, raconte un épisode de sa vie. Homme mûr d’une cinquantaine d’années, exilé en Suisse, il avait épousé une riche fermière, Félicie Morgeron. Après deux années de bonheur, il découvre la liaison de sa femme avec son cousin Tonino. Il écarte l’amant cupide et ingrat et tente de réhabiliter Félicie en lui offrant son amitié. Cependant, son épouse se désespère de ne pouvoir reconquérir son amour et se suicide. Sylvestre reprend la route.

Flamarande - Les Deux Frères (1875)

Le comte de Flamarande est convaincu de l’adultère de sa femme Rolande avec son meilleur ami Salcède. Il blesse grièvement ce dernier dans un duel et éloigne le fils prétendu adultérin en faisant croire à sa mort. L’enfant, surnommé Espérance mais dont le vrai nom est Gaston, est élevé par des paysans. Rolande, quoique comblée par la naissance d’un second fils Roger, finit par se douter de la vérité et retrouve son premier né. Salcède veille à son éducation. A sa mort, le comte de Flamarande ne revient pas sur sa décision, aidé en cela par son serviteur qui croit aussi à la culpabilité de Rolande. La vérité apparaît peu à peu. Mais malgré l’innocence de la comtesse et la volonté de Roger de partager sa fortune avec son frère, Gaston refuse cet héritage et garde l’état de paysan dans lequel il a été élevé.

Francia (1871)

En 1814, un prince russe, venu à Paris avec l’armée des coalisés, séduit Francia, une grisette qui cherche sa mère, disparue lors de la retraite de Russie. Le bonheur des amants est compromis par l’infidélité de Mourzakine et sa situation d’étranger dans la France occupée. Humiliée, Francia tue son amant dans une crise de folie. Inconsciente de ce crime dont personne ne l’accuse, elle se réhabilite au yeux de la société par une conduite exemplaire mais meurt phtisique.

Mademoiselle Merquem (1868)

Armand Du Blossay, amoureux de Célie Merquem, décrite comme une célibataire endurcie, décide de la conquérir. Après une série d’épreuves, il se sait aimé en retour mais doit affronter la résistance passive de Montroger, amoureux éconduit et vindicatif de Célie. Les héros finissent par vaincre et s’unissent dans un amour parfait.

Malgrétout (1870)

Sarah Owen commence une idylle avec Abel un violoniste brillant mais inculte. Par souci des convenances, elle lui impose un délai d’un an. Le fiancé est soumis à diverses tentations mais revient toujours à Sarah qu’il aime sincèrement. A cause de son caractère instable, la jeune femme rompt à deux reprises mais finit par l’épouser pour fonder une famille.

Marianne (1875)

Pierre André, déçu par une vie d’emplois médiocres, s’installe chez sa mère devenue veuve. A contrecoeur, il sert d’intermédiaire entre sa filleule Marianne et Philippe Gaucher qui prétend à la main de la jeune fille. Cette dernière a déjà refusé plusieurs partis et ne semble guère pressée de se marier. Pierre André, timide et bourru, n’ose exprimer son amour pour Marianne et reste aveugle à celui qu’elle lui manifeste. Elle finit par renvoyer son prétendant et provoque enfin l’épanchement amoureux de Pierre.

Ma Sœur Jeanne (1874)

Laurent Bielsa passe les meilleurs moments de son enfance dans sa famille, notamment avec Jeanne qui prétend ne pas être sa sœur. Sans accorder de véritable crédit à ces propos, Laurent poursuit ses études et devient médecin. Il est embauché par un Anglais, sir Richard Brudnel dont l’épouse ne manque pas d’intéresser le jeune homme. Il apprend que Manuela n’est que la pupille de l’Anglais. Malgré de grandes réticences, il finit par céder à sa passion pour elle et compte l’épouser. Mais en revenant dans la quiétude de sa famille, il se repent de sa décision. De son côté, Manuela l’oublie. Laurent découvre aussi que Jeanne est en réalité la fille illégitime de sir Richard. Le sentiment fraternel se transforme en amour. La veille de son mariage avec sir Richard, Manuela fuit avec un autre médecin.

Monsieur Sylvestre (1865)

Dans ce roman par lettres, le scripteur principal, Pierre Sorède commence une nouvelle existence. Il a renoncé à se plier aux exigences de son oncle M. Piermont qui souhaitait le marier à une riche héritière. Indépendant mais pauvre, il décide de gagner sa vie en se lançant dans la littérature. Il s’installe dans un village près de Paris pour écrire sur le thème du bonheur. Il rencontre Monsieur Sylvestre, un vieil « anachorète » et Aldine Vallier, une jeune fille démunie venue soigner sa petite servante à la campagne. Il retrouve aussi dans son voisinage le riche Gédéon Nuñez et Jeanne de Magneval, fille d’une courtisane et petite fille de Sylvestre. Pierre est attiré par cette dernière qui tente de le séduire mais lui préfère Aldine. Il n’ose se déclarer que lorsqu’il touche un héritage providentiel. Il se bat auparavant en duel contre Gédéon, devenu son rival. Gravement blessé, il est sauvé par son correspondant Philippe Tavernay et se fait soigner par Aldine qui l’a toujours aimé.

Nanon (1872)

Lorsqu’éclate la Révolution, Nanon, petite paysanne orpheline, s’instruit grâce Émilien de Franqueville, un novice dans le moutier dont dépendait le village. La Révolution affecte la vie des paysans qui peuvent acquérir des terres et leur maison. Le moutier est acheté par le bourgeois Costejoux. Une petite communauté s’établit autour de Nanon qui a notamment recueilli Louise, la petite sœur d’Émilien. Lorsque ce dernier est emprisonné à cause de l’émigration de ses parents, Nanon, aidée de Dumont, un serviteur fidèle, parvient à le faire évader. Ils vivent quelques temps cachés dans une forêt du Berry. Mais Émilien veut accomplir son devoir de citoyen et s’engage dans l’armée républicaine. Pendant ce temps, Nanon profite du progrès de la Révolution et s’enrichit. Émilien revient en 1795 amputé du bras droit et épouse Nanon.

Pierre qui roule - Le Beau Laurence (1867)

Pierre Laurence aime l’actrice Impéria et s’engage dans sa troupe dans l’espoir de la conquérir. Il mène pendant quelques temps la vie errante des comédiens sous la direction de Bellamare, avant d’y renoncer à cause des préjugés de son père. L’annonce d’un héritage inattendu tue ce dernier. Pierre Laurence commence une nouvelle vie, s’éprend de sa voisine Jeanne, mais demeure hanté par les comédiens. Lorsqu’il les retrouve par hasard, il renonce définitivement à Impéria qui avoue enfin son amour pour Bellamare. Pierre peut trouver la paix et le bonheur auprès de Jeanne.

La Tour de Percemont (1876)

La comtesse de Nives consulte l’avocat Chantebel pour trouver un moyen de faire interdire sa belle-fille Marie. Le comportement étrange de cette dernière permet en effet de douter de son équilibre mental. En fuite de son couvent, elle se réfugie auprès de Miette, la nièce de M. Chantebel. Marie se montre coquette avec Jacques, le frère de son amie et avec Henri Chantebel qui, fraîchement revenu de Paris, hésite à épouser Miette à qui il était fiancé. L’avocat intervient pour régler tous les problèmes. Il arrange l’affaire de famille à l’amiable, réconcilie son fils avec Miette et, par une sévère admonestation à Marie, révèle l’amour de cette dernière pour Jacques.

 

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CONCLUSION

LE FÉMINISME DE GEORGE SAND

Les derniers romans n’offrent pas, au premier regard, de démenti manifeste à l’antiféminisme imputé à George Sand dans le second versant de sa carrière par quelques critiques. Ses héroïnes idéales, des modèles de convention, sont de pures jeunes filles, parées de toutes les qualités, qui prônent l’obéissance au mari. Si la « soumission aveugle »[40] et révoltante de Rolande à un mari tyrannique apparaît comme une dénonciation de l’ordre patriarcal, que penser de la sujétion volontaire de Célie à la fin de Mademoiselle Merquem ? A son mariage, Célie promet à Armand, qui n’en demandait pas tant, un « abandon absolu, continuel, irrévocable de sa volonté »[41]. Pour Nanon, une « femme donne toujours raison et autorité à celui qu’elle aime »[42]. Marianne, elle, se dit « si nulle et si faible », qu’elle refuse un « maître sans cervelle »[43]. Le héros positif Paul Gilbert qui régente les sorties et les relations de sa femme donne le ton : « Le charme d’une femme n’est pas dans le développement extraordinaire de sa volonté » mais « dans l’abandon tendre et généreux de sa force »[44].

Par ailleurs, George Sand assigne une seule place valorisante à la femme : la famille. Ange gardien de l’humanité souffrante, fée du foyer et mère irréprochable, l’héroïne idéale s’épanouit dans le cadre de la vie domestique. Même si la romancière réhabilite ce rôle traditionnel en insistant sur sa portée réelle, elle désigne la femme comme un être entièrement dévoué aux siens, sans existence propre hors de ce strict domaine.

Par tous ces aspects, George Sand semble consentir à l’ordre patriarcal entériné par le Code civil. L’épouse soumise se cloître dans la famille, cellule de base où la mère, quintessence de la femme, est élevée sur un piédestal.

De plus, on pourrait déceler une authentique misogynie[45] à l’égard d’autres personnages féminins. Les « coquettes » se trouvent affublées de la plupart des défauts que les préjugés attribuent aux femmes : caprices, goût des parures, vanité excessive et autres enfantillages. Certaines, d’une pauvre intelligence et dépourvues de sens moral, se montrent incapables de diriger leur vie. Une aversion marquée pour les ambitieuses, les mondaines et les courtisanes transparaît dans les romans. George Sand antiféministe et misogyne ?

Par d’autres aspects, son œuvre ultime contredit cette perspective réductrice. Le lecteur est invité à douter des propos ouvertement misogynes de certains personnages dévalorisés par l’antipathie qu’ils suscitent. Flamarande prouve le contraire de ce qu’affirme le comte à propos des femmes : « Ce sont des êtres inférieurs en tout ce qui est bon, supérieurs à nous quand il s’agit de faire le mal »[46].

George Sand tord ainsi le cou à certains mythes[47] sur la femme. Elle attribue la futilité qui leur est reprochée à l’éducation lamentable qu’elles reçoivent. Elle démonte au passage les préjugés tenaces qui leur dénient l’intelligence et leur refusent l’instruction en leur faisant perdre ainsi « toute puissance réelle et toute action légitime dans la société »[48]. Maints romans dénoncent plus ou moins explicitement les traditions destinées à assujettir les femmes, notamment par le mariage. La fameuse lettre inachevée de 1848, considérée à tort comme antiféministe, contient des revendications hardies[49] pour la restitution des droits civils de la femme « que le mariage seul lui enlève, que le célibat seul lui conserve ; erreur détestable de notre législation qui place en effet la femme dans la dépendance cupide de l’homme, et qui fait du mariage une condition d’éternelle minorité, tandis qu’elle déciderait la plupart des jeunes filles à ne se jamais marier si elles avaient la moindre notion de la législation civile à l’âge où elles renoncent à leurs droits »[50].

S’il se fait parfois discret, son procès contre cette institution n’en est pas moins effectif. Mariées précocement sans possibilité de choix véritable, les jeunes filles sont poussées dans le mariage de convenance, à moins qu’elles ne se laissent égarer par une inclination funeste. Le plaisir fonctionne en effet comme un piège pour la femme au profit de la satisfaction égoïste de l’homme.

Face à ces repoussoirs, la femme idéale se démarque discrètement mais fermement. Sa pureté la préserve des embûches de la séduction. Son éducation exceptionnelle et son intelligence remarquable montrent « le degré de charme et de mérite » qu’elle peut atteindre si on la laisse « mûrir » [51] et si elle parvient à « se conserver [libre] »[52] assez longtemps. Elle aboutit ainsi à la « vie complète »[53] et acquiert « une personnalité qui lui appartient, une liberté de choix qui lui paraît sacrée »[54]. Loin d’être soumise à « l’ordre éternellement établi »[55], elle choisit son époux en toute connaissance de cause, quitte à s’opposer à l’autorité patriarcale. Du reste, le plus souvent, l’absence ou la disparition du pouvoir paternel lui laisse toute latitude.

La femme idéale se libère aussi en conquérant sa véritable place dans la société. Elle doit fuir l’oisiveté vaine du grand monde et s’épanouir dans le travail. Mais George Sand se méfie des activités rémunérées proposées aux femmes. Souvent exploitées, elles disposent d’un salaire dérisoire, sont soumises à la servitude ou à des tâches mal définies. Artistes, elle risquent leur vertu et leur réputation pour un succès aléatoire. Seule la sphère domestique leur permet de déployer sans danger leurs multiples qualités, des plus humbles tâches ménagères aux talents artistiques ou éducatifs. Elles prennent ainsi possession d’un véritable pouvoir à leur portée.

Mais ce que les derniers écrits martèlent avec le plus d’insistance, c’est l’égalité effective et nécessaire entre les sexes. Si George Sand réclame « l’égalité dans le mariage » dès 1848, « au nom même de ce sentiment chrétien de l’humilité qui ne signifie pas autre chose que le respect du droit des autres à l’égalité »[56], elle s'efforce dans son œuvre ultérieure de modifier les mentalités de ses contemporains. Dans « L’homme et la femme », elle appuie cette égalité sur des observations de « naturaliste ». A rebours de toutes les explications pseudo-scientifiques de son époque, George Sand constate d’abord la « race » commune entre l’homme et la femme : « Dieu n’a pas créé, la nature n’a pas produit séparément des singes et des guenons, des chèvres et des boucs, des hommes et des femmes »[57]. Elle constate la similitude là où les autres tentent de prouver une différence fondamentale. Son « il n’y a qu’un sexe »[58] s’interprète comme un postulat féministe si on lui restitue sa suite : « un homme et une femme c’est si bien la même chose que l’on ne comprend guère les tas de distinctions et de raisonnements subtils dont se sont nourries les sociétés sur ce chapitre-là »[59]. George Sand n’hésite pas à reprendre le sujet dans le seizième feuilleton du Temps :

« C’est que, quand nous entrons dans cette thèse (soutenue ou combattue en ce moment par de très-grands esprits) que l’homme et la femme, le mâle et la femelle sont des êtres essentiellement dissemblables et soumis à des lois opposées, nous entrons, selon moi, dans des idées de convention, dans un monde fabriqué de toutes pièces par la conception humaine [...] »[60].

Les derniers romans répètent tous cette même idée. Le savant Bellac ne doute pas que le cerveau féminin de son élève fonctionne « comme le sien »[61] : « Qu’importe [...] que l’on soit homme ou femme ? La vérité n’a pas de préférence pour un sexe ; elle se révèle à qui la cherche »[62]. Plusieurs héroïnes révèlent des capacités intellectuelles équivalentes sinon supérieures à celles des hommes.

Les couples « idéaux » sont réunis par un amour fondé sur l’égalité et la réciprocité. Loin de l’image « stéréotypée de la féminité et des rapports de sexe perçus comme rapport de domination »[63], George Sand élabore des relations nouvelles qui établissent une parité totale entre mari et femme. Cette égalité dans le couple se concrétise par l’équation prénuptiale et conjugale souhaitée pour chaque époux : même pureté, même fidélité. Les écarts de conduite se retrouvent chez l’un et l’autre sexe : tantôt une femme « déchue » est unie à un homme pur, tantôt un jeune homme « souillé » se marie avec une jeune fille irréprochable. Enfin, l’autorité et la responsabilité parentales sont également partagées par les deux parents. « L’idéal n’est-il pas l’égalité, l’union, la paix, l’amour dans le mariage, et par Mariage, je n’entends pas autre chose que l’élevage des enfants par ceux qui les ont mis au monde »[64], écrit la romancière à Émile de Girardin qui envisageait, lui, « la suppression du père dans la famille ».

Mais à côté de cette « sorte d’utopie égalitaire et féministe »[65], George Sand tient compte de la réalité de son époque. Elle inclut dans ses récits la « vraie femme », majoritaire au XIXe siècle, qui possède « toutes les séductions et toutes les fantaisies de la faiblesse »[66]. Il s’agit de la femme « coquette par état »[67] selon Rousseau. Sa coquetterie « honnête »[68] lui permet de dominer son mari tout en se soumettant à lui. Martine Reid décèle ce « système de Rousseau » dans les romans de George Sand, notamment dans Mauprat. « Il n’en demeure pas moins que le pouvoir de la femme est un pouvoir acquis, non originaire, qui repose sur une condition dont on a fait l’essence du féminin (la coquetterie), qui résulte d’un travail (l’éducation du partenaire), qui se soutient enfin d’une immense contradiction puisqu’il est pouvoir dans la soumission »[69].

Or, les héroïnes idéales refusent la coquetterie, « cauchemar »[70] de leur vie, sous toutes ses formes. Dès 1848, George Sand dénonçait ce rapport de force dans le couple, source de mésentente et d’adultère : « Il n’y a [...] rien d’insolent comme la femme qui gouverne en feignant d’obéir »[71]. Dans les derniers romans, la coquette appartient souvent à la noblesse qui incarne classiquement toutes les valeurs obsolètes liées à l’Ancien Régime. Elle tente de dominer l’homme par ses charmes. Tantôt victime, tantôt tyran, cette « femmelette »[72] n’a aucune réelle emprise sur son destin, sauf s’il se limite à des mondanités stériles. Bien des héros résistent à leurs entreprises et déjouent leurs intrigues, décidés à devenir des hommes « que la femme ne gouvernera plus, à moins de devenir loyale et d’aimer pour de bon ! »[73] Cet archétype de la femme du passé s’oppose au prototype de la femme de l’avenir, représenté par toutes les héroïnes idéales. 

Encore une « exception », cette « nouvelle » femme n’est « ni une femme ni un homme » mais « l’un et l’autre avec les meilleures qualités des deux sexes »[74]. Elle appartient à ce « Troisième Sexe »[75] que Flaubert attribue plaisamment à George Sand. Cette femme « complète » puise sa force de qualités dites « viriles » comme le courage, le savoir, l’indépendance, alliées aux meilleures valeurs féminines comme la maternité, la douceur, la générosité. Elle conjugue les vertus des deux sexes et œuvre activement, à petite échelle, pour la justice sociale. Pour suivre l’inspiration de Christine Planté qui interprète « la mise au masculin de la fonction d’écrivain par George Sand, non comme un mouvement de rivalité avec l’homme, mais comme une aspiration à l’universel »[76], le troisième sexe désigne tout simplement l’être humain complet que devient la femme une fois débarrassée de tous les préjugés. Toutes les héroïnes idéales, maîtresses de leur destin, épousent des hommes qui préfèrent les « femmes avec lesquelles on peut penser tout haut, vivre de tout son être, et ne jamais être forcé de descendre au-dessous de soi-même »[77]. Parallèlement, ces héros évoluent et se « féminisent » puisqu’ils prennent une part de plus en plus active à la vie familiale, assumant pleinement leur rôle de père et d’époux.

Pour George Sand, l’évolution de la condition féminine dépend essentiellement du progrès des mentalités. La femme doit renoncer à sa coquetterie pour construire une relation d’égalité avec l’homme encouragé à changer son regard et à abandonner ses idées préconçues.

La romancière considère aussi la condition féminine telle qu’elle est vécue par les femmes de son temps. Dans la réalité, elles passent de l’autorité paternelle à la domination maritale. Par leur mariage, elles abdiquent légalement leur liberté. Contrairement à de nombreuses jeunes filles, les héroïnes sandiennes renoncent de plein gré à leur indépendance. Nullement rebelles, elles pallient cet inconvénient par la confiance accordée à l’époux librement choisi : « la femme étant appelée à obéir, un grand amour [peut] seul lui rendre l’obéissance agréable ou sacrée »[78]. Ce héros, ni lâche[79] ni tyran, rétablit l’égalité dans la pratique. George Sand appelle à la parité immédiate en dépit des différences encore perceptibles. Miette Ormonde, par exemple, « a une grande notion de l’égalité voulue entre époux, elle se dit que l’homme, grâce au développement donné à son intelligence par une éducation plus complète, est le guide naturel de la femme dans les choses de la vie, et que la femme par sa réserve, sa pureté, s’élève jusqu’à lui et mérite le respect de son maître »[80]. Dès que l’époux sera aussi pur que sa femme ou cette dernière aussi instruite que lui, l’égalité ne sera plus une « compensation » mais une véritable similitude où chacun assumera le rôle qui lui conviendra le mieux.

Quelques personnages masculins le reconnaissent volontiers. La médecin Vianne accepte de se laisser gouverner par « une femme de vrai mérite »[81] tandis qu’Émilien décide de « consulter sur toute chose »[82] un être de bon sens comme Nanon.

Malgré ses aspirations idéalistes, George Sand développe d’abord un féminisme pragmatique c’est-à-dire orienté vers une action pratique et efficace. Toute dévouée à la cause des femmes, elle utilise des moyens modérés pour convertir le plus de lecteurs à ses vues. Persuadée que « les femmes doivent [...] participer un jour à la vie politique », elle ne croit pas ce jour proche : « [...] pour que la condition des femmes soit ainsi transformée, il faut que la société soit transformée radicalement »[83]. Par son œuvre, George Sand contribue à changer imperceptiblement les mentalités tout en encourageant les femmes à renoncer à la coquetterie, à choisir leur mari, à parfaire leur éducation. Hostile à toute précipitation maladroite, elle reproche aux féministes de freiner l’évolution de la condition féminine en exigeant d’abord l’égalité politique :

 « C’est en soulevant ces problèmes que l’opinion refuse d’examiner que vous faites faire à cette opinion maîtresse du monde, maîtresse de l’avenir puisqu’elle seule décide en dernier ressort de l’opportunité des réformes, une confusion étrange et funeste. Si dans vos écrits vous plaidiez la cause de l’égalité civile, vous seriez écoutées. [...] Mais on voit que vous demandez d’emblée l’exercice des droits politiques, on croit que vous demandez encore autre chose, la liberté des passions et, dès lors, on repousse toute idée de réforme. Vous êtes donc coupables d’avoir retardé, depuis vingt ans que vous prêchez sans discernement, sans goût et sans lumière l’affranchissement de la femme ; d’avoir éloigné et ajourné indéfiniment l’examen de la question »[84].

George Sand plaide pour une efficacité immédiate en préconisant un féminisme acceptable voire déguisé[85]. Elle cherche à influencer son public sans le choquer. Son action se coule dans un moule traditionaliste destiné à rassurer le lecteur pour mieux lui suggérer les changements essentiels, comme l’égalité civile. Les contradictions dans l’idéologie féministe de George Sand se résolvent dans cette approche pragmatique de la condition féminine.

Le roman le plus exemplaire et le plus ouvertement féministe de cette dernière période est sans doute Mademoiselle Merquem. Son dénouement platement conventionnel poursuit donc un triple but : rassurer le lecteur par une « docilité exagérée » qui lui permet « se faire pardonner ses audaces en renchérissant de moralité »[86] ; dénoncer la véritable situation juridique de la femme dans le mariage ; ridiculiser le cliché de la soumission de l’épouse. Claude Holland y décèle, entre autres, une « tension entre le désir de Sand de créer une femme authentiquement indépendante et sa propre conception du destin de la femme »[87].

La conviction intime de George Sand sur la valeur identique des deux sexes se heurte à sa vision de la condition de la femme « à jamais esclave de son propre cœur et de ses entrailles »[88]. Pour l’écrivain, la maternité effective ou d’adoption constitue la fonction essentielle de la femme. Cependant, elle envisage une implication équivalente d’un « père », biologique ou non, qui doit s’investir dans la mission naturelle des êtres humains : procréer et éduquer sa progéniture. Telle est, selon George Sand, la vraie vocation de tout individu, mâle ou femelle, même si la mère conserve encore un rôle prépondérant. Pour l’écrivain qui croit fermement en la perfectibilité des hommes, l’amélioration inévitable de la condition féminine se conçoit et se réalise dans la perspective de l’amélioration de la condition humaine.

 

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PUBLICATION

 

Thèse de doctorat publiée aux éditions du Septentrion.

 

Annie CAMENISCH, La Condition féminine dans les derniers romans de George Sand de « Monsieur Sylvestre » (1865) à « Albine » (1876), Lille, Atelier national de reproduction des thèses, Presses Universitaires du Septentrion, 1998.

 

http://www.anrtheses.com.fr/

 

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NOTES

 

[1] Dictionnaire Le Petit Robert.

[2] Jean-Marie-Napoléon Nisard, critique littéraire, avait condamné « au nom de la morale, mais sans excès de sévérité » les romans de George Sand dans la Revue de Paris du 15 mai 1836. Oeuvres autobiographiques II, p.936, note 1. La romancière a répondu à cette critique dans la douzième Lettre d’un voyageur.

[3] René DOUMIC, George Sand, Paris : Perrin, 1909.

[4] Naomi SCHOR, « Le féminisme et George Sand : Lettres à Marcie », Revue des Sciences humaines n°226, 1992, p.23.

[5] Ibidem, p.25.

[6] Michèle HECQUET, « Féminité et espace public chez George Sand », Les Amis de George Sand n°14, 1993, p.24.

[7] Les Lettres à Marcie sont composées de six lettres publiées en 1837 dans Le Monde de Lamennais. Elles ont été éditées à la suite des Sept Cordes de la lyre, Paris : Michel Lévy, 1869, p.165-234.

[8] Lettres à Marcie, op.cit., p.197.

[9] HECQUET, op.cit., p.26.

[10] L’antiféminisme s’oppose au « féminisme », c’est-à-dire à toute « émancipation » de la femme et s’en prend à la « femme qui sort de sa condition de femme ». Christine Planté, La Petite Sœur de Balzac, Paris : Seuil 1989, p.99.

[11] Correspondance, Tome 8, p.391, Lettre aux rédacteurs de La Réforme et de La Vraie République, 8 avril 1848.

[12] C’est-à-dire au « Comité de la gauche qui donnait son investiture aux candidats », Correspondance, Tome 8, p.400, note 1.

[13] Histoire de ma vie, Tome II, op.cit., p.127.

[14] Claudine Chonez, « George Sand et le féminisme », Europe 1978, p.78.

[15] Ibidem.

[16] Correspondance, Tome 20, p.297, Lettre du 15 janvier 1867.

[17] Ibidem.

[18] Naomi SCHOR, « Il et elle : Nohant et Croisset », op.cit., p.277.

[19] Ibidem, p.30.

[20] HECQUET, « Féminité et espace public... », op.cit., p.29.

[21] Ibidem, p.29.

[22] Nicole MOZET, « Le jeu des dates et des filiations dans Nanon », C.R.I.N. 24, 1991, p.79.

[23] Naomi SCHOR, « Le féminisme et George Sand : Lettres à Marcie »,op.cit., p.26, note 8.

[24] Wladimir KARENINE, George Sand, sa vie, ses oeuvres IV, Paris : Plon-Nourrit, 1899-1926, p.583.

[25] Pierre SALOMON, George Sand, Meylan : Les Éditions de l’Aurore, 1984, p.224. (réédition entièrement remaniée [sic] de l’édition de 1853), p.221-222.

[26] Ibidem, p.224.

[27] André MAUROIS, Lélia ou la vie de George Sand, Paris, Hachette : 1952

[28] Nicole MOZET, Introduction de Nanon, Meylan : Les Éditions de l’Aurore, 1987, p.6.

[29] Les Contes d’une grand-mère, treize contes publiés dans la Revue des Deux Mondes et surtout dans Le Temps.

[30] Les feuilletons publiés dans Le Temps du 22 août 1871 au 11 décembre 1872 ont été recueillis sous le titre Impressions et Souvenirs.

[31] Correspondance, Tome 24, p.586, Lettre à Flaubert du 25/3/1876.

[32] George Sand, « L’homme et la femme. Lettre à un ami », Impressions et souvenirs, Paris : Michel Lévy Frères, 1896, p.259. Publié dans Le Temps du 4 septembre 1872.

[33] Correspondance, Tome 19, p.427, lettre à Louis Ulbach du 27 septembre 1865.

[34] Correspondance, Tome 20, p.194, lettre à Marschal du 19 novembre 1866.

[35] Voir Agenda III, op.cit. p.334. « 1er dîner Magny avec mes petits camarades ».

[36] Le premier « dîner Magny » avait eu lieu le 22 novembre 1862 chez le restaurateur du même nom. Voir Correspondance, Tome 13, p.702.

[37] Michelle PERROT, « Le Troisième Sexe », George Sand, une correspondance, Actes du colloque international de Nohant, 19-20 septembre 1991, St. Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 1994, p.219-224.

[38] « Mais cependant, quelle idée avez-vous donc des femmes, ô vous qui êtes du Troisième Sexe ? », Correspondance Gustave Flaubert / George Sand, op.cit., p.196, lettre du 19 septembre 1868.

[39] Voir en Annexe : mémento des derniers romans.

[40] Flamarande, p.297.

[41] Mademoiselle Merquem, p.314.

[42] Nanon, p.195.

[43] Marianne, p.362.

[44] Césarine Dietrich, p.170.

[45] La misogynie est l’attitude qui consiste à mépriser la femme et à la tenir « pour un être inférieur, voire à peine humain, moins doué d’âme ou d’intelligence que l’homme ». Christine Planté, La Petite Sœur de Balzac, Paris : Seuil 1989, p.99.

[46] Flamarande, p.60.

[47] Mythe : Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d'un individu ou d'un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation. Dictionnaire Le Petit Robert.

[48] Mademoiselle Merquem, p.315.

[49] D’ailleurs si hardies que George Sand ne l’a jamais envoyée !

[50] Correspondance, Tome 8, p.402, avril 1848.

[51] Mademoiselle Merquem, p.314-315.

[52] Mademoiselle Merquem, p.231.

[53] Mademoiselle Merquem, p.314-315.

[54] Mademoiselle Merquem, p.167.

[55]  Mademoiselle Merquem, p.225.

[56] Correspondance, Tome 8, p.406.

[57] George Sand, « L’homme et la femme. Lettre à un ami », Impressions et souvenirs, op.cit., p.259. Publié dans Le Temps du 4 septembre 1872. Voir Annexe.

[58] Correspondance, Tome 20, p.297. Lettre à Flaubert du 15 janvier 1867.

[59] Correspondance, Tome 20, p.297.

[60] George Sand, « L’homme et la femme. Lettre à un ami », Impressions et souvenirs, op.cit., p.259-260. Publié dans Le Temps du 4 septembre 1872. Voir Annexe.

[61] Mademoiselle Merquem, p.229.

[62] Mademoiselle Merquem, p.231.

[63] MOZET, « Un poème maritime de George Sand : Mademoiselle Merquem », op.cit., p.480.

[64] Correspondance, Tome 23, p., p.219, lettre du 7 septembre 1872.

[65] MOZET, « Marianne comme réécriture de La Mare au diable », op.cit., p.125.

[66] Nanon, p.188.

[67] ROUSSEAU, Émile ou l’éducation V, op.cit., p. 476. Rousseau amalgame d’ailleurs les deux sens du mot (goût de la toilette et désir de plaire) : « Les petites filles, presqu’en naissant, aiment la parure : non contentes d’être jolies, elles veulent qu’on les trouve telles : on voit dans leurs petits airs que ce soin les occupe déjà ; et à peine sont-elles en état d’entendre ce qu’on leur dit, qu’on les gouverne en leur parlant de ce qu’on pensera d’elle ».

[68] Ibidem p.509.

[69] Martine REID, « Mauprat : mariage et maternité chez Sand », op.cit., p.51.

[70] Mademoiselle Merquem, p.250.

[71] Ibidem, p.406.

[72] Nanon, p.193.

[73] Césarine Dietrich, p.299.

[74] Nanon, p.188.

[75] « Mais cependant, quelle idée avez-vous donc des femmes, ô vous qui êtes du Troisième Sexe ? », Correspondance Gustave Flaubert / George Sand, op.cit., p.196, lettre du 19 septembre 1868.

[76] Christine PLANTÉ, « Mon pseudonyme et moi », George Sand. Une correspondance, op.cit., p.230.

[77] Ma Sœur Jeanne, p.162.

[78] Ma Sœur Jeanne, p.121.

[79] « Il ne faut pas que l’homme commande à une femme, c’est lâche », Correspondance, Tome 8, p.406.

[80] La Tour de Percemont, p.237.

[81] Ma Sœur Jeanne, p.59.

[82] Nanon, p.154.

[83] Correspondance, Tome 8, p.401.

[84] Correspondance, Tome 8, p.408.

[85] George Sand adopte exactement la même attitude au moment de la Commune. Elle voit que tout mouvement extrémiste prépare un échec et une réaction puisque la majorité est conservatrice : « Paris est grand, héroïque, mais il est fou. Il compte sans la province qui le domine par le nombre et qui est réactionnaire en masse compacte », Correspondance, Tome 22, p.349, lettre à Plauchut du 24 mars 1871.

[86] Mademoiselle Merquem, p.476.

[87] HOLLAND, op.cit., p.178. « On the other hand, does the contradiction arise from the tension between Sand’s desire to create a truly independent woman and her own concept of woman’s destiny ? A look at some of the heroine’s comments seems to confirm the latter hypothesis ».

[88] Correspondance, Tome 18, p.628-629, lettre du 23 décembre 1864.